Cette fin d’hiver est riche en mobilisations en faveur du climat. Le 14 mars, l’affaire du siècle dépose un recours contre l’Etat Français après avoir récolté plus de deux millions de signatures. Le 15 mars, une grève contre le climat mobilise les étudiants, lycéens et collégiens aux quatre coins du monde. Le 16 mars, la marche pour le climat rencontre un réel succès avec près de 50 000 participants dans les rues de Paris.

Après des années de relative indifférence de l’opinion publique face au changement climatique, assistons-nous à un réel retournement capable d’inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre? Y aura-t-il un avant et un après ce mois de mars 2019 ?


Ce fut donc un joli tir groupé de 3 journées qui annonce le printemps et fait écho à un slogan vedette des manifestations :« Et un, et deux et trois degrés, c’est un crime, contre l’humanité !» ou en variante « Si ça continue, on va cramer ! »

14 mars 2019 : Dépôt du recours de « L’affaire du siècle »

La pétition de l’Affaire du siècle initiée par les quatre ONG Notre affaire à tous, Greenpeace, Fondation pour la nature et l’homme et OXFAM France a recueilli plus de deux millions de signatures. Plus de 2 millions de signatures ! C’est inédit !

Fort de ce soutien, les organisations ont déposé un recours contre l’Etat Français pour « carence fautive de l’Etat à respecter son obligation de protection de l’environnement, de la santé et de la sécurité humaines ».

Le Président Macron a réagi avec agacement : « Je n’en vois pas les tenants et les aboutissants. Je n’achète pas cet esprit. »

Concernant la pertinence d’une telle plainte, les principaux éléments du débat ont été résumés dans deux tribunes publiées par le Monde lors du lancement de la pétition.

La tribune de Marc Fontecave, professeur au Collège de France, est datée du 29/12/2018 : « Pétition « L’Affaire du siècle » : Attaquer la France en justice est à la fois injuste, idiot et inopérant ». Damien Grenier de l’ENS Rennes y apporte une réponse le 3/1/2019 :« Il n’est ni injuste ni idiot d’attaquer la France pour l’obliger à se saisir des enjeux du changement climatique ». Les termes de l’échange sont vifs ! Examinons leurs arguments.

Marc Fontecave défend l’idée qu’il est absurde d’attaquer l’Etat Français (nous-même) au motif que la France est avec la Suisse et la Suède un des pays les plus vertueux au monde et que la France n’émet que 1% des émissions mondiales de CO2. Ces chiffres sont exacts. (cf Trajectoires : les premiers de cordée).

Damien Grenier objecte que les émissions de la France sont dans la moyenne mondiale et qu’elle doit par conséquent mieux faire et qu’elle n’est pas sur la voie de respecter la réduction d’un facteur 4 qu’elle s’est elle-même donné comme objectif. Ceci est également exact. Il est un peu dommage qu’il s’égare ensuite dans les chiffres en tentant de justifier la politique énergétique allemande qu’un Allemand émet presque deux fois plus de CO2 qu’un Français :  c’est un fait et pas une opinion.

La polémique inspire trois questions :

  1. Quand on attaque en justice l’Etat Français, veut-on critiquer la France et les résultats qu’elle a obtenus depuis des décennies ou le gouvernement en place et les efforts qu’il consent depuis deux ans ? Dans le premier cas, il serait en effet absurde de s’en prendre à l’un des Etats les plus vertueux au monde (cf courbes HDI vs CO2/ habitant). La référence à la plainte contre les Pays-Bas, pays très émetteur de CO2 est de ce point de vue mal fondée.

En revanche, chercher à aiguillonner un gouvernement qui n’a pas pris de mesures fortes permettant de réduire de 5 à 10 Mt par an les émissions françaises ne parait pas infondé. Personne ne peut soutenir que les initiatives prises par le gouvernement (par exemple la prime à la casse pour les voitures diesel de plus de 17 ans ou l’interdiction de l’exploitation pétrolière sur le sol Français à partir de 2040 sont de nature à générer une économie significative d’émissions de CO2.

  1. Doit-on attaquer un gouvernement pour les résultats qu’il obtient en comparaison avec les autres pays ou par rapport à la tenue des objectifs qu’il s’est lui-même fixés ? Ici encore, il serait absurde d’attaquer la France qui est sobre par rapport aux autres pays développés, en revanche il serait de justifier de montrer du doigt que la France ne tiendra pas ses propres objectifs. L’article Facteur 4 détaille l’incongruité qu’il y at à fixer des objectifs ambitieux sur le papier alors que l’on n’agit pas pour les atteindre dans les actions de court terme. Cette plainte devrait inciter le gouvernement à fixer des objectifs ambitieux et réalistes et à s’y tenir année après année.
  2. La lutte contre le changement climatique doit-elle s’inscrire dans un mouvement de contestation contre les institutions, contre le système ? Opposer les Terriens et les Destructeurs comme le fait Delphine Batho dans son dernier livre Ecologie Intégrale ?) Ou au contraire mobiliser une majorité de la population à l’échelle de chaque groupe (pays, ville, communauté) pour un construire un projet commun de préservation de l’humanité ? Cliver ou ne pas cliver ? Certains militants revendiquent la nécessaire conflictualité. Pourtant, l’inflexion des émissions de CO2 n’est pas une affaire d’affrontement et elle n’adviendra que si elle est exigée avec conviction et dans la durée par une majorité de citoyens. Une attaque de l’Etat Français dans la tradition de la judiciarisation à l’Américaine n’est pas de nature à pacifier les antagonismes.

15 mars : La grève pour le climat

Le 15 mars, ce sont les jeunes, collégiens, lycéens, étudiants qui défilaient à Paris du Panthéon aux Invalides. Ce fut un beau succès, avec plus de 30000 manifestants. Le même jour, aux quatre coins du monde, de nombreux évènements rassemblaient les jeunes soucieux du climat.

Cet embryon de mobilisation mondiale est très enthousiasmant pour les défenseurs de la transition carbone. Il témoigne que la jeunesse d’aujourd’hui commence à entrevoir que des difficultés importantes vont s’accumuler à l’horizon de son entrée dans le troisième âge. C’est inédit car les générations précédentes n’imaginaient les problèmes que pour les générations futures.

Le défilé parisien était bon enfant ! Une jeunesse BCBG côtoyait quelques militants déclinant des slogans contre le gouvernement et de jeunes personnes venues allier la défense d’une juste cause au plaisir d’une sortie conviviale entre camarades. La diversité des profils est un grand motif d’espoir, d’autant que les premiers actes d’engagements sociaux ou politiques ont des chances d’influencer leurs participants pour de nombreuses années. Les graines sont semées !

La France a donc repris à son tour le mouvement médiatisé par la jeune Suédoise Greta Thunberg qui avait lancé : « Puisque nos leaders se comportent comme des enfants, nous sommes obligés d’assumer la responsabilité qu’ils auraient dû endosser il y a bien longtemps ».  La formule est un peu brutale mais comme chantait Dalida :  « Il venait d’avoir dix-huit ans
Ça le rendait presque insolent de certitude ». Certains pourront s’agacer à l’image du magazine Valeurs Actuelles dans un article accusateur : « L’odieuse et illégale “grève scolaire mondiale pour le climat ». La plupart se rangeront à l’idée que si les enfants et les jeunes se mobilisent, c’est bien aux adultes d’agir et ils puiseront dans cette énergie juvénile l’envie de relever les défis !

16 mars : La marche pour le climat

Cette marche entre l’opéra et la place de la république a rassemblé près de cinquante mille personnes. On y trouvait pêle-mêle les grandes ONG, les scouts de France, des amis du vélo, des familles, des enfants, des poussettes, des militants barbus et grisonnants et beaucoup de jeunes, un bon nombre de gilets jaunes.

Les slogans pour le climat s’étalaient sur les panneaux : fin du monde fin de mois même combat ; changeons le système pas le climat ; capitalisme=écocide ; vivre oui, survivre non ; sans pétrole la fête est plus folle; c’est pas nous les utopistes ; mêmes coupables, mêmes combats ; ta planète, tu la veux comment ? bleue ou bien cuite ? ; moins de banquiers, plus de banquises ; si le climat était une banque, la planète serait sauvée.

Les slogans comme les prises de parole reprenaient 3 grands thèmes : majoritairement, les questions liées au réchauffement climatique. En second lieu, la thématique anticapitaliste. Enfin, c’est dans l’air du temps, la rhétorique anti-Macron dont un portrait décroché en mairie sera fièrement brandi sur le podium.

La convergence entre la marche pour le climat et la marche des gilets jaunes était clairement assumée sur le thème de « fin du monde, fin de mois, même combat ». La rhétorique anti-Macron servait de point de ralliement à deux mouvements qui ont pourtant des objectifs largement antinomiques.

C’est en effet aux gilets jaunes que l’on doit l’abandon de la taxe carbone progressive sur les carburants qui a infligé un cruel revers au Président. L’histoire du climat retiendra probablement que le jour de ce recul a signé la fin du leadership revendiqué par le jeune président sur la question climatique. On se rappelle en effet le tweet triomphant de Donald Trump le 4 décembre 2018 suite à l’abandon de la taxe carbone pour légitimer l’abandon de l’accord de Paris : « I am glad that my friend Emmanuel Macron and the protestors in Paris have agreed with the conclusion I reached two years ago../ Je suis heureux de constater que mon ami Emmanuel Macron et les manifestants à Paris sont finalement tombés d’accord sur la conclusion à laquelle j’étais parvenue il y a 2 ans sur l’accord de Paris. » Plus globalement, les gilets jaunes demandent une essence moins chère, ils exigent l’augmentation du pouvoir d’achat permettant de consommer plus. La transition carbone demande de consommer moins. Si des positions contraires peuvent se retrouver côte à côte dans la convivialité d’une manifestation commune et la lutte contre un ennemi commun, la contradiction des espérances n’en est pas pour autant effacée.

Le succès de la marche fut réel mais pas pour autant éclatant, le comptage affiche 107000 participants pour les organisateurs, 36000 pour la police, 45000 selon un comptage indépendant. En fin d’après-midi, la foule était dense autour du podium, clairsemée sur les pourtours de la place de la République. Concluant les prises de parole, l’un des organisateurs Cyril Dion, rappelait que les Champs Elysées avaient rassemblé plus d’un million de personnes le jour de la victoire de la France à la coupe du monde de football.

La recette de la convergence des luttes (climat, anti-macron, anticapitalisme) a fait une part du succès de cette manifestation. Elle trace aussi les limites de son expansion. Si la France doit attendre de trouver une majorité anticapitaliste pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, la planète risque d’attendre ! Des militants écologistes revendiquent la radicalité, et l’ampleur du défi nécessite peut-être une forme de radicalité. Pourtant celle-ci ne peut aboutir que dans le consensus d’une majorité.

Un avant et un après ?

Dans une certaine mesure oui ! Car si la COP21 avait été un succès au niveau des Etats, la question du changement climatique restait un peu secondaire dans les enquêtes sur les préoccupations citoyennes. Beaucoup voient aujourd’hui les échéances se rapprocher et se disent prêts à agir. Ou du moins, et c’est bien là que réside la limite de leur engagement, demandent au gouvernement d’agir. Certains y voient aussi une manière de contester un Président de la République qu’ils désapprouvent indépendamment de la question climatique. Même s’il regroupe une diversité de profils, la prise de parole et les messages véhiculés par la Manif du siècle montrent que le mouvement reste majoritairement politisé, contestataire et pour une part importante anticapitaliste.

Pour qu’il y ait vraiment un après, il faudra donc que le mouvement s’élargisse à une majorité de la population d’une part et que les manifestants s’approprient la volonté de réduire avec détermination les émissions de gaz à effet de serre, pas seulement de demander au gouvernement et aux multinationales de le faire. Ce mouvement prometteur permet d’espérer que cela se concrétise dans la prochaine décennie.


En Bref

  • L’ampleur de la mobilisation est très prometteuse pour l’avenir de la lutte contre le changement climatique.

  • Le mouvement émergent devra néanmoins dépasser le strict cadre anticapitaliste pour rallier au projet de transition énergétique une majorité de la population.

  • C’est probablement le rapprochement du mur qui s’annonce et les désordres climatiques de la prochaine décennie qui amplifieront le mouvement de la lutte contre le changement climatique.

  • Le gouvernement ne devra pas se contenter d’engagements à très long terme sans les décliner en plans d’action année après année sous peine de voir réellement aboutir des actions en justice.